On leur avait dit : « C’est pour la France »
On leur avait dit aussi : « Il faut y aller à la baïonnette »
De graves messieurs avaient secoué leurs têtes :
« Ils n’auront pas l’Alsace et la Lorraine….. »
Et de l’arrière, on leur avait crié : « Ils ne passeront pas ! »
Alors, pour la France, ils y allèrent à la baïonnette.
Les autres ne passèrent pas et ils n’eurent, ni l’Alsace, ni la Lorraine.
Par un matin de l’automne 1918, c’était à la Saint- Martin,
On les vit émerger du terreau des champs de bataille,
portant collée à leur capote de drap la puanteur toxique
d’une victoire aux millions de morts.
Ces ombres grises et bleues, ces fantômes de guerriers,
Ces étranges silhouettes aux défroques glorieuses se dressèrent
Et l’on dit même qu’ils eurent encore la force de chanter
LA MARSEILLAISE.
On s’étonna.
Ils n’étaient donc pas tous morts ces soldats de l’apocalypse ?
Non, ils vivaient, mais si près des morts qu’on avait fini, pendant quatre ans, par les confondre.
Puis, il se passa un curieux phénomène
Que n’expliqua jamais aucun livre de sciences :
A 11 heures, les morts se mirent à vivre aux côtés de leurs camarades échappés du massacre.
On pût les voir un instant, côte à côte, la main dans la main,
Ces pâles héros de la boue.
Ils marchèrent un moment silencieux.
Les uns marchaient en avant, la tête lourde d’un pansement sanglant,
D’autres s’appuyaient sur une épaule secourable,
D’autres enfin tiraient un peu la jambe et restaient derrière.
Il y a cent ans de cela.
C’était le 11 Novembre 1918
Collection Jean-Paul Wiatr - nov. 2018