Quoique corrompant tant l'agriculteur, le tisserand, le meunier que le manouvrier, le « croq'teux » (tailleur de grès) ou la fileuse, la bactérie arquée s'acharne plus singulièrement sur les obscurs, les humbles, les modestes, ménagers (ou « cinsiers à brouette »), journaliers, mendiants.
Elle taille des coupes sombres parmi les jeunes foyers et ceux achevant leur vie de labeur. Ainsi,
- en douze jours, une famille d'ouvrier-mineur, les Joyan, est-elle anéantie :
. le 2 août, âgée de trois ans, Marie s'en va à une heure du matin...
. précédant de cinq jours sa maman, Angélique, 34 ans...
. qui emmène avec elle, à six heures du matin, son dernier-né de six mois.
. Le 12, Victor, onze ans, suit...
. n'abandonnant que vingt-quatre heures, Pierre, son père de 42 ans.
Le 13 août, à cinq heures du matin, ils sont tous réunis!
- ... passent de vie à trépas du 12 au 18 août:
. Nicolas Després, 50 ans, valet de charrue;
. le bébé de treize mois, Marie-Thérèse, quatre jours après;
. et juste dans les quarante-huit heures suivantes, l'épouse et mère, Virginie, 26 ans.
- ... suffisent quatre jours pour engendrer, là encore, une détresse sans nom:
. le 1° septembre, à trois heures après-midi, expire à cinquante-sept ans, Marie Augustine Charlon-Silvert, sachant sa fille de dix-huit ans et son mari de cinquante-cinq ans touchés par l'implacable mal. . .
. qui, le 4, emporte Rosalie à six heures du matin et Jean-Baptiste à deux heures de l'après-midi.
- ... une indicible affliction due à un fol espoir:
. le 21 septembre, s'éteint Marie-Anne Dewailly-Canon, cultivatrice de soixante-six ans.
. Vingt-neuf jours plus tard, l'infection se dissipant, succombe à l'âge de vingt-deux ans, son fils, Louis.
Reste le père, Antoine, seul avec son désespoir.
Au terme de l'année, le choléra a quitté la bourgade. Il y laisse de cruelles souffrances dans la plus totale consternation.
Le « Fléau de Dieu » a abattu près de seize « Masnysiens » sur cent.
Il faudra attendre 1865 pour retrouver une population équivalente, 950 âmes... soit seize années.
1849 et le choléra prennent donc fin quasi-simultanément. Mais le typhon pestilentiel a tué près de cent quarante personnes en la localité.
L'agent en est le vibrion cholérique ou « bacille virgule» transmis à l'homme par l'eau contaminée ou les résidus fécaux.
D'où un risque absolu en campagne à une époque de multiples fossés à ciel ouvert collectant les immondices, et dans les classes sociales les plus défavorisées, en raison du manque d'hygiène, des habitations impropres, de la malnutrition, de la consommation d'eaux douteuses, du manque ou du surcroît de travail.
En 1827 et 1829 déjà, le premier magistrat municipal, clairvoyant, constatait, à l'attention de son sous-préfet :
« Les indigents se nourrissent d’un peu de pain, de beaucoup de pommes de terre et d’eau...
Les causes (des maladies) sont (chez eux) le manque de nourriture et sa mauvaise qualité, la malpropreté, la promiscuité...
Les fossés et courants charrient des eaux assez limpides et lentes...
Les eaux servant de boisson sont un peu claires [ !] ... »
La « Santé Publique » s'organise, au niveau départemental, autour des « Conseils de salubrité d'arrondissement » créés en 1828 et des « Comités cantonaux » formés en décembre 1848 selon le vœu du Conseil général. Tous deux se préoccupent spécialement
«... des moyens d’assistance... des secours nécessaires... à procurer aux personnes atteintes d'une maladie épidémique... des mesures à prendre pour combattre (ces) maladies... des moyens d’améliorer les conditions sanitaires des populations industrielles et agricoles... »
En sont membres à Douai, en qualité de docteurs en médecine, MM Lequien, Duhem, Bagnéris père et fils (médecins des épidémies), Gronnier, Tesse, Reytier (médecin à l'Hôtel-Dieu), Fontaine, Escalier, Gelez (chirurgien de l'Hôtel-Dieu), Mangin, Watelle, Faucheux.
Se dévouaient dans et pour le secteur minier d'Aniche, le Dr Buisson à Auberchicourt, M. Couplet, officier de santé à Lewarde.
La Faculté fait montre d'une méconnaissance légitime de cette « pathie » qui, bien loin d'elle, règne à l'état endémique dans son bouillon de culture antédiluvien des Indes...
-Plaie que le Bengale devait déifier sous les traits de «Manasa» déesse souveraine contre les morsures de serpents et les affections corporelles-
... qui se dissémina dans le monde entier notamment par le vecteur de la navigation à vapeur.
Dans ses« Mémoires d'outre-tombe », Chateaubriand questionnait :
«Qu’est-ce que le choléra... ce fléau sans imagination...
Qu'est-ce que cette grande mort noire, armée de sa faux, qui... est venue... (des) bords du Gange, nous écraser aux rives de la Seine sous les roues de son char...».